Il est venu tout sourire mais un peu surpris de se retrouver ici, au fort de la Grande Haye. Son fils Roland ne l’avait pas prévenu de sa destination. Mais quand Marcel Demangeon sut qu’il était là, à Golbey, dans le cadre des journées du patrimoine, c’est avec grand plaisir que ce résistant centenaire (il a atteint le siècle le 22 avril) de Fremifontaine, ancien chauffeur, apiculteur également, se prêta au jeu des questions d’un auditoire ravi de rencontrer un homme qui aura vécu les horreurs d’une guerre dont ses copains, résistants comme lui, ne virent pas la fin… « J’étais parti chercher à manger quand ils se sont fait prendre par les B… Tous ont été envoyés dans les camps, à Dachau et Buchenwald, un seul en est revenu ».
Petite photo de groupe en compagnie de Marcel Demangeon.
L’oreille est un peu déficiente mais la mémoire intacte. Marcel (qui garde précieusement son brassard de FFI) se souvient, comme si c’était hier, de cette période d’occupation durant laquelle le quotidien n’était pas toujours rose, loin de là. Des anecdotes, ce « gross filou » en a à la pelle. Comme quand il avait en main cette simple tartine beurrée par sa grand-mère, mais que les soldats lui ont prise. Ou quand, lors du rituel du « tue-cochon », les militaires décidèrent de tout confisquer. Le Frémifontainois eut beau demander à ce qu’on lui en laisse un peu, ce fut un « nein » catégorique !
Avec Jacqueline, son épouse, Marcel eut cinq enfants, Jean-Claude (décédé), Pierrette, Jean-Paul, Roland et Dominique. Tous sont on ne peut plus fiers de leur papa, de son passé héroïque dans un village libéré en octobre 1944 par la 45e Division d’Infanterie américaine, après des combats acharnés. Cette après-midi du 20 septembre 2025 restera gravée dans la mémoire de celles et ceux qui auront eu la chance d’aborder, de questionner et d’écouter Marcel, simple résistant mais patriote exemplaire.
« En avant la Grande Haye » de Laurent L’Homel et la société des fêtes de Gilles Mussier, associations organisatrices de ces journées du patrimoine golbéennes, et toute l’armée de (précieux) bénévoles peuvent se féliciter de la présence d’un des derniers survivants de cette maudite période de l’Histoire de France. Durant deux jours, le public put visiter ce fort, élément de la ligne de défense d’Épinal, et glaner les explications et photos exposées sur les panneaux présents dans les différentes salles de l’édifice de Séré de Rivières. Comme il put admirer les véhicules militaires stationnés dans la cour du fort ; véhicules superbement restaurés par des passionnés qui, font, de cette passion, un devoir de mémoire indispensable en cette période internationale si troublée. Les plus chanceux eurent même droit à une petite balade en Jeep, GMC ou Dodge ; balade ensoleillée le samedi mais bien pluvieuse le lendemain…
Le traditionnel « rata du Poilu » était également au menu de la journée de dimanche, tout comme un « parcours du combattant » pour les enfants, ou la « dictée du patrimoine », dirigée par « l’instituteur d’un jour », Camille Zeghmouli, adjoint aux affaires scolaires. Une dictée remportée haut la main par Madame Mérenne, qui rendit une copie avec seulement 4 fautes !
Quatre-vingt convives au « rata du Poilu ».
« Un calme trompeur » (Alfred de Vigny, « Cinq-Mars »)
« Un soir, devant Perpignan, il se passa une chose inaccoutumée. Il était dix heures et tout dormait. Les opérations lentes et presque suspendues du siège avaient engourdi le camp et la ville.
Chez les Espagnols, on s’occupait peu des Français, toutes les communications étant libres vers la Catalogne comme en temps de paix, et, tous les esprits étaient travaillés par cette secrète inquiétude qui annonce les grands événements. Cependant, tout était calme en apparence ; on n’entendait que le bruit des pas mesurés des sentinelles. On ne voyait, dans la nuit sombre, que la petite lumière rouge de la mèche toujours fumante de leurs fusils, lorsque, tout à coup les trompettes des mousquetaires, des chevau-légers et des gens d’armes sonnèrent presque en même temps le boute-selle et à cheval. Tous les factionnaires crièrent aux armes, et on vit les sergents de bataille, portant des flambeaux, aller de tente en tente, une longue pique à la main, pour réveiller les soldats, les ranger en ligne et les compter. De longs pelotons marchaient dans un sombre silence, circulaient dans les rues du camp, et venaient prendre leur place de bataille ; on entendait le choc des bottes pesantes et le bruit du trot des escadrons, annonçant que la cavalerie faisait les mêmes dispositions. Après une demi-heure de mouvements, les bruits cessèrent, les flambeaux s’éteignirent et tout rentra dans le calme ».
« Maître » Zeghmouli et ses élèves, pour la dictée du patrimoine.